#686 – Ruch Chorzów : Niebiescy

Les bleus. Deuxième club le plus titré de Pologne, avec 14 titres de champion à son actif entre 1933 et 1989, Ruch constitue, depuis un siècle, une véritable vitrine de la ville de Chorzów mais également de la Haute-Silésie et évolue dans un kit bleu et blanc. Il n’existe pas d’explication officielle justifiant ce choix de couleurs. Plusieurs histoires circulent même si une apparaît dominante et remonte à la création du club.

Au début du XXème siècle, la Haute-Silésie, et donc Chorzów, se situait au sein de l’Empire Allemand bien que sa population était majoritairement polonaise (60% vs 40% de germanophone). Forcément, il existait des tensions entre les deux communautés, sur des bases ethniques, religieuses et sociales, et dès la fin du XIXème siècle, les habitants polonais de Chorzów s’animèrent d’un sentiment nationaliste. Le traité de Versailles de 1919 offrit l’opportunité à cette population polonaise de rallier la République de Pologne, de nouveau indépendante depuis 1918. En effet, un référendum connu sous le nom de Plébiscite de Haute-Silésie fut organisé sous l’égide des alliés pour connaître à quel pays souhaitaient être incorporés les habitants de cette région : la République Allemande de Weimar ou la République de Pologne, de nouveau indépendante en 1918. Ce processus conduisit à la division de la Silésie, une partie étant rattachée au territoire polonais en 1922. Durant cette période, les silésiens d’origine polonaises menèrent de nombreux mouvements et soulèvements pour emporter la décision. Ainsi, le Commissariat du Plébiscite polonais (organisme nationaliste pro-Pologne) s’inquiéta de la germanisation de la jeunesse silésienne au travers des associations sportives allemandes et lança un appel le 27 janvier 1920 à la création de nouveaux clubs sportifs polonais en Haute-Silésie (ceci afin d’éveiller la jeunesse à la cause nationaliste). L’appel fut entendu avec, à l’été 1920,112 clubs déjà fondés, rassemblant plus de 15 000 adhérents. Dans ce contexte, le représentant du Commissariat à Chorzów créa le club le 20 avril 1920. Le nom Ruch, qui signifie mouvement en polonais, était censé faire référence aux mouvements insurrectionnels silésiens (mais les autres clubs créés lors de l’appel affichèrent des références plus explicites tels que Polonia (Pologne en Latin), Powstaniec (Insurgés), …). La couleur devait donc être un choix politique également et les membres auraient opté pour le bleu et blanc, couleurs des armes de la Haute-Silésie. Ces dernières se composent d’un aigle jaune sur fond bleu et proviennent directement des armoiries de la Maison Piast. Les Piast étaient la première dynastie régnante historique de la Pologne à compter du Xème siècle. Si le règne royal des Piast en Pologne prit fin en 1370 avec la mort du roi Casimir III le Grand, d’autres branches de la famille dominèrent encore des duchés, en particulier ceux de Mazovie et de Silésie (basse et haute). Toutes ces branches avaient pour armoirie un aigle, seuls les couleurs changées. En Basse-Silésie, l’aigle était noir sur fond jaune et donc en Haute-Silésie, jaune sur fond bleu. Pour la Haute-Silésie, ces armes sont affirmés dès 1222. Quand aux teintes, la plus ancienne représentation en couleur des armoiries est conservée dans le château de Lauf près de Nuremberg, où 114 armoiries des principautés, des évêchés et des villes d’Europe furent sculptées dans la pierre en 1353. Celles du duché d’Opole, dépendant de la Haute-Silésie, présentent encore aujourd’hui des traces de jaune sur l’aigle et de bleu sur l’écu. Cette palette de couleurs est confirmée dans l’Armorial de Gueldre (établi entre 1370 à 1395). Seulement, vous aurez noté une différence de taille : les armes sont de couleurs jaune et bleu tandis que le club évolue en blanc et bleu. Comment expliquer cette différence alors que le jaune figure sur les armoiries des Piasts de Haute-Silésie depuis au moins le XIVème siècle ? Certains prétendent que la couleur jaune ne fut pas permanente sur les armes et qu’il arriva qu’elle fusse remplacée par du blanc. Cela aurait été le cas dans l’entre-deux guerres. Ce qui vient corroboré cette hypothèse est l’Etoile de Haute-Silésie. Il s’agit d’une distinction militaire polonaise établie en 1925 pour décorer les insurgés de Silésie. Elle se composait notamment d’un aigle en argent (ici la matière mais en héraldisme l’argent correspond au blanc) sur une croix bleue et blanche. D’autres avancent que le club aurait remplacé le jaune par du blanc car le mariage du bleu et jaune aurait pu faire référence aux couleurs de l’Ukraine voisine, avec qui les relations n’étaient pas au beau fixe. Dans la même veine, la Basse-Silésie était la région voisine (mais très majoritairement germanophone) dont les armes étaient un aigle noir sur fond jaune. Les populations polonaises de Haute-Silésie n’auraient donc pas souhaité partager une couleur commune avec leur voisin « honni » . Enfin, l’explication la plus simple serait qu’à l’époque, les gardes-robes des joueurs, qui constituaient la « réserve » vestimentaire du club, étaient simples et ne comptait pas de jaune mais plutôt du blanc.

D’autres versions ont fleuri parmi les fans. Tout d’abord, le bleu du club ferait référence aux bleus de travail portés par les joueurs et les supporteurs qui travaillaient majoritairement dans les usines, notamment l’aciérie Huta Bismarck. Sauf que beaucoup indiquent que les employés de Huta dans les années 1920 ne travaillaient pas en uniforme bleu, mais avec ce qu’ils avaient dans leur garde-robe.

Une autre légende se rapporte aux soulèvements de Silésie de l’entre-deux guerres, au cours desquels les insurgés auraient porté des brassards bleus sur leurs manches et les populations les appelaient niebiescy. Résultat, la couleurs et le surnom se seraient reportés vers le club et ses joueurs. Seulement il semble que les insurgés portaient des brassards de différentes couleurs : blanc, blanc et rouge, blanc et bleu.

Une autre histoire fait appel à la rivalité avec le club germanophone de l’AKS Królewska Huta (aujourd’hui AKS Chorzów) qui évoluait en vert. Par opposition, le Ruch aurait opté pour le bleu. Mais, dans ce cas pourquoi pas le rouge, le blanc ou toute autre couleur qui par définition s’oppose au vert ?

Certains estiment que le surnom est venu plus tard, dans les années 1930. A cette époque, le Ruch Chorzów posait la première pierre de sa légende, en remportant 5 Championnats de Pologne (dont 4 d’affilé, 1933 à 1936 et 1938). Au même moment, un autre club de football en Allemagne s’imposa comme l’équipe dominante, à la popularité immense en Allemagne et grandissante dans le reste de l’Europe, Schalke 04. Après un premier championnat d’Allemagne remporté en 1929, Schalke disputa 14 des 18 finales du championnat d’Allemagne entre 1933 et 1942. Pour décrire son écrasante domination, rappelons que de 1935 à 1939, Schalke ne perdit aucun match de championnat. Les supporteurs de Ruch établirent alors le parallèle avec le club allemand qui évoluait également en bleu et dont le surnom était die königsblauen (les bleus royaux). Par mimétisme, les fans de Ruch adoptèrent le surnom niebiescy et le scandèrent à leurs joueurs.

Enfin, l’histoire la moins crédible mais finalement la plus sympathique. Depuis les cieux, le diable (bies) et l’archange Gabriel (Gabryjel) regardait un match. L’équipe de Ruch jouait un superbe football et les joueurs paraissaient inspirés. Gabryjel déclara à l’attention des joueurs de Ruch « Wyście som Anielscy » (Vous êtes des anges). Ce à quoi Bies répondit « Nie ! » (Non !) et Gabriel dit alors « Biescy » (diabolique). Les supporteurs de Ruch entendirent les deux derniers mots Nie et Biescy et crièrent alors à leurs joueurs « niebiescy » (les bleus).

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