#889 – Qarabağ FK : Qaçqın Klub

Les club des réfugiés. Si le club évolue à Bakou, il représente avant tout la région montagneuse du Haut-Karabagh, située à près de 350 km de la capitale azéri. Se plonger dans l’histoire du club s’est mettre le doigt sur un conflit non résolu, qui empoisonne la vie des azéris et des arméniens. Le club est fondé en 1951 dans la ville d’Aghdam dans le Haut-Karabagh. Puis, après l’effondrement du régime soviétique, il émigra, comme ses supporteurs vers Bakou. Il est donc le représentant des réfugiés de la ville et de cette région. Mais que s’est-il passé à l’époque ?

Quasiment depuis le fin fonds de l’histoire, la région fut déchirée entre les arméniens chrétiens d’un côté et des peuples arabes ou perses musulmans de l’autre. N’allons pas aussi loin et démarrons l’histoire au XXème siècle. Sous domination de l’Empire russe au début de ce siècle, la république démocratique d’Arménie et la république démocratique d’Azerbaïdjan, qui se déclarèrent indépendantes le même jour, le 28 mai 1918, profitèrent de l’instabilité liée à la révolution communiste pour s’opposer sur le Haut-Karabagh. Forcément, la guerre éclata. Mais, les deux perdirent puisque l’URSS mit fin au conflit en réintégrant l’Arménie et l’Azerbaïdjan en son sein en 1920. Peuplait alors à 95% par des arméniens, Staline décida en 1921 de rattacher le Haut-Karabagh à la république socialiste soviétique d’Azerbaïdjan. Deux ans plus tard, le Haut-Karabagh devint un oblast autonome, enclavée au sein de l’Azerbaïdjan, donc en réalité dépendante de ce dernier. Sous le joug de Moscou, qui contrôlait ses républiques unifiées d’une main de fer, les velléités nationalistes des deux parties se réveillèrent seulement au moment de la pérestroïka (1988). Avec l’effondrement de l’URSS en 1991 et la nouvelle indépendance de l’Azerbaïdjan et l’Arménie, le confit militaire non-résolu du début du siècle refit surface. Les habitants du Haut-Karabagh déclarèrent leur indépendance avec la volonté de faire sécession de l’Azerbaïdjan et s’unir avec l’Arménie. L’Azerbaïdjan imposa un blocus au Haut-Karabagh, qui reçut le soutien de l’Arménie. Après 3 ans de conflit, il fallut tout le poids de la France, des Etats-Unis et de la Russie pour imposer un cessez-le-feu sans pour autant trouver une solution durable. La première guerre du Haut-Karabagh était donc officiellement terminée mais entraina le déplacement de milliers de personnes. En particulier à Agdam, ville du club de Qarabağ, qui était située près de la ligne de front. Composée de près de 30 000 habitants, la cité se vida littéralement à l’issue de ce conflit de ces citoyens azéris. Territoire non reconnu par l’ONU et non soumis à l’Arménie ou à l’Azerbaïdjan, le Haut-Karabagh survit ainsi pendant quasiment une trentaine d’année. En septembre 2020, soutenu par la Turquie, l’Azerbaïdjan attaqua le Haut-Karabagh. L’Arménie répliqua en déclarant la guerre. Un accord de cessez-le-feu fut signé le 10 novembre 2020. La ville d’Agdam retomba sous l’emprise azérie, poussant ses habitants arméniens à partir. Les réfugiés azéris à Bakou comme leur club de Qarabağ ne retournèrent pas à Agdam, cette dernière devenant une ville fantôme.

L’histoire du club s’inscrivit totalement dans l’Histoire mouvementée et sanglante de la région. Pendant le conflit 1991-1994, selon la légende, les joueurs auraient voulu prendre les armes. Mais, l’armée refusa en répondant qu’il était plus difficile de recruter onze footballeurs que onze soldats. Néanmoins, le joueur, puis entraîneur Allahverdi Bagirov troqua son survêtement pour le trellis. Il mourut le 12 juin 1992 dans l’explosion de sa voiture sur une mine antichar, devenant alors un héros national. En 1993, alors que les troupes arméniennes prenaient la ville d’Agdam et pilonnèrent le stade, Qarabağ devenait champion d’Azerbaïdjan. Au début des années 2000, le club était au bord de la faillite. L’autocrate azéri, Ilham Aliyev, vint au secours du club, en favorisant sa reprise par le richissime conglomérat Azersun. L’objectif du pouvoir était de faire du club l’étendard des revendications des azéris sur le Haut-Karabagh et une cause nationale. Pendant longtemps, des cars viendront chercher les supporteurs dans les camps de réfugiés pour les emmener à Bakou voir les matchs. Aujourd’hui, les ultras du groupe Imarat revendiquent le slogan « Aujourd’hui ultras, demain soldats », affirmant ainsi leur volonté de prendre à tout moment les armes pour reprendre « leur » terreLe club a dépassé le statut d’association sportive pour être le symbole des 600 000 natifs du Haut-Karabagh réfugiés à Bakou et en Azerbaïdjan. Ses parcours dans les compétitions européennes sont un moyen de mettre sous la lumière des projecteurs l’histoire de cette partie du monde et leur cause.

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