#940 – RFC Seraing : les Métallos

S’il y a deux pays européens dont le football national a souffert ces 20 dernières années, ce sont la Roumanie et la Belgique. Nombre de clubs, notamment des historiques, s’évanouirent dans leurs gouffres financiers. Mais, leurs prestiges et une vie locale orpheline conduisirent à tenter de les ressusciter au travers de fusion, de rachat de licence et d’acquisition du nom/marque qui donna lieu à de nombreux imbroglios juridiques et à l’existence parallèle de club réclamant le même héritage. La ville de Seraing en est un exemple en Belgique. Le club historique naquit entre 1900 et 1904 et obtint le matricule 17 lorsque la fédération tint son registre officielle. Après une première faillite en 1984, le club fut abandonné par son président en 1996 qui le « céda » à son voisin du Standard de Liège. Un autre club, Royale Union Liégeoise (matricule 23), profita du vide pour s’installer à Seraing et endosser l’héritage du précédent club, avec la bénédiction de la municipalité. Toutefois, en 2014, le club de Seraing se fit une nouvelle fois absorbé par une union de 3 autres clubs de la région, entérinant une nouvelle fois la disparition du football à Seraing. Dans la ville de Boussu, le club local était en difficulté financière et se trouva en 2014 racheté par le propriétaire du FC Metz. Voyant le club de Seraing disparaître, le club de Boussu (matricule 167) s’exila alors à Seraing pour occuper la place vacante et bénéficier de l’aura des précédents clubs. Après quelques changements de nom et quelques débats avec la fédération, il récupéra le nom du RFC Seraing. Mais, même s’il s’appropria de nombreux attributs (nom, couleurs, surnom), les supporteurs historiques ne lui reconnaissent pas l’héritage de l’ancien RFC. Toujours club satellite du FC Metz, le RFC Seraing a retrouvé cette année le chemin de l’élite belge et peut-être retrouvé tous ses supporteurs.

Située sur la Meuse, en amont de Liège, la cité Seraing est synonyme en Belgique de fumée d’usines, de mines et de classes ouvrières. Au début du XIXème siècle, Seraing était une modeste bourgade de moins de deux mille habitants, principalement tournée vers l’Agriculture mais également l’extraction de houille. Or, cette ressource abondante, qui donnait l’énergie ainsi qu’un minerai appelé coke, essentielle dans la métallurgie, la présence de minerai de fer, couplée avec une voie de circulation, la Meuse, et une population connaissant le travail de la mine et de la métallurgie depuis des siècles, transformèrent le paysage et l’économie local. En 1809, la Fabrique de Fer d’Ougrée, une métallurgie, ouvrit et plusieurs mines, allant au delà de l’extraction en surface, débutèrent leur exploitation. Mais, ce fut surtout l’installation, en 1817, de deux frères britanniques, John et Charles-James Cockerill, qui révolutionna Seraing et ses alentours. Ils commencèrent par ouvrir, dans le le château de Seraing, l’ancienne résidence d’été des princes-évêques de Liège, un atelier où ils construisaient des machines à vapeur. Ayant un schéma industriel intégré, ils fabriquaient également leur propre fonte et fer. Puis, un haut-fourneau à coke, le premier du genre en Belgique, fut mis à feu en 1826. Cockerill y ajouta des fonderies, forges, laminoirs et ateliers de construction mécanique ainsi qu’une filature. Dans son sillon, d’autres s’établirent comme le Charbonnage de Marihaye (à Ougrée, Espérance et Six-Bonniers), des entreprises métallurgiques (l’Espérance, la Fonderie Quiriny-Goreux et la Fabrique de Fer d’Ougrée), ainsi que la cristallerie du Val-Saint-Lambert. La région croqua alors à pleine dent dans la Révolution Industrielle, faisant de la Belgique la deuxième puissance économique du monde, derrière le Royaume-Uni au milieu du XIXème siècle. Jusqu’à l’aube de la Première Guerre Mondiale, la région demeura un des cœurs industriels de l’Europe, grand producteur de fer, d’acier et de verre. Les 21 hauts-fourneaux produisaient près de 40 % de la production belge d’acier en 1914. Après avoir été démantelée durant le conflit par l’occupant allemand, l’outil industriel belge fut reconstruit et jusqu’à la crise énergétique des années 1970, développa encore sa production. Malgré un regain dans les années 1980, les mines et les usines métallurgiques licencièrent puis fermèrent face à la concurrence asiatique. Aujourd’hui, la production d’houille, de fer et d’acier est nulle. Néanmoins, pendant plus d’un siècle, la région viva au rythme de cette activité. Au fil des installations et du développement des usines, la ville de Seraing attira une population ouvrière nombreuse. En 1846, Seraing comptait 10 000 habitants, en 1868, le double et en 1883, le triple. En 1825, 800 ouvriers travaillaient pour Cockerill et dès l’année suivante son nombre d’employés doublait. En 1840, il était estimé que sept ou huit mille personnes dépendaient de ces ateliers. Puis, de 1842 à 1913, le nombre d’ouvriers travaillant pour Cockerill était quasiment multiplié par 5, pour atteindre 10 427 ouvriers. De 1850 à 1899, le nombre de mineurs passait de 3 000 à près de 5 000. Puis, l’immigration italienne, portugaise et polonaise fournit les bras manquant au développement de l’industrie. A la veille de la crise énergétique de 1973, le nombre de travailleurs étaient de 20 000. Autant dire que nombre de familles dépendaient des activités minières et métallurgiques. Naturellement, les luttes ouvrières furent aussi fortes dans le bassin. Enfin, au bord de la Meuse, les usines et les maisons des ouvriers s’installèrent côte à côte et encore aujourd’hui, les deux sont inextricables. Seraing était donc connu comme la ville du fer et ses habitants y étaient viscéralement attachés.